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ROSE ET NINETTE

qui retombaient avec des bruits de source. Mais, deux pas plus loin, des phrases de Mme  La Posterolle lui revenaient. Le poison opérait, passait d’une veine à l’autre… Une nuit, toute une nuit aux bras de cet homme ! Sûrement ç’avait dû être un sacrifice puisqu’elle l’aimait, lui, Fagan. Elle l’aimait, c’était visible. En se donnant à un autre, elle mentait donc, de toute son âme, de toute sa personne ; et cela volontairement, puisque l’homme n’avait plus aucun droit sur elle, que de fait, depuis des années, il n’était plus son mari…

Plus son mari !… Rien qu’avec ces trois mots, que cette gueuse là-bas venait de lui injecter sous l’épiderme, comme elle avait trouvé moyen de le faire souffrir !… Plus son mari, c’est-à-dire plus celui qui lui répugnait, qui révoltait en elle cœur et chair. Du nouveau, de l’inconnu dans ce lit d’austère veuvage, et, selon la judicieuse remarque de Mme  La Posterolle, juste à l’âge où la femme de nos contrées…

Oh ! les grands yeux bleus pâmés sous les caresses d’un autre, les blanches épaules d’un grain si pur frissonnantes et comme moirées par le désir, — malgré lui, il se représentait cela, il se le représenterait toujours. Et son amie le savait bien ; elle savait que s’ils se mariaient cette hantise douloureuse les poursuivrait tous deux, gênerait, souillerait leur bonheur. Oui,