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ROSE ET NINETTE

Il ne répondit pas, rêvant aux choses qu’elle évoquait, une succession sans fin de ces lugubre rencontres, et tout au bout de ces larges allées son ancienne femme, chaque fois vieillie et transformée, de plus en plus chevrotante et méchante. Elle le réveilla par cette demande à l’improviste :

« Et vous, mon petit Fagan, quand comptez-vous vous marier ? Plus rien ne s’y oppose, j’imagine, à présent que M. Hulin est mort. »

Il tressaillit, la scruta jusqu’au fond :

« Ah ! vous savez donc ?

— Bien des choses que vous ignorez, je parie. »

Au frisson de sa bouche, à son regard en coin, il comprit qu’elle allait lui faire du mal, beaucoup de mal. Mais une curiosité mauvaise l’excitait.

« Quoi, voyons… Qu’est-ce que j’ignore ?

— Mais par exemple pourquoi le mari de cette belle Pauline s’est tué… Je suis sûre que vous ne vous en doutez pas… Eh bien,.il s’est tué — ce sont ses expressions mêmes dans une lettre d’adieu à un ami — parce qu’il ne pouvait survivre à un bonheur sans lendemain… Avez-vous compris ?… Non, n’est-ce pas ? »

Si bien compris ou cru comprendre, le malheureux Fagan, que pris d’une subite faiblesse il s’assit sur le prochain banc.

« C’est tout naturel… une première sortie…