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ROSE ET NINETTE

flant sa poitrine trop étroite. Et voilà qu’en allant se mettre à table il voit la nappe, les assiettes tournoyer dans leur blancheur ; ses oreilles tintent, il suffoque, veut s’approcher de la fenêtre pour l’ouvrir, et le bruit sourd d’une chute appelle Anthyme, qui trouve son maître à terre, comme foudroyé.

Régis se réveilla dans son lit, par un après-midi limpide et blond, sans pouvoir apprécier depuis combien de temps il subissait l’anéantissement dont il sortait à peine, anéantissement traversé de fièvre, de visions délirantes, d’horribles cauchemars, rouges d’incendie et de sang versé, ou décolorés en des noyades, à même l’eau glauque, tiède ou glacée selon la brûlure de ses membres. Deux images nettes dans la confusion de ses idées : ses filles tour à tour affectueuses et jolies, puis le visage dur, les yeux secs, le regardant souffrir et mourir, sans une petite main tendue, sans une goutte d’eau à sa soif. Enfin, il revenait au monde réel, clignotant un peu devant la longue barre de soleil qui dorait en écharpe le tapis clair de sa chambre au calme rangement, à la fenêtre entr’ouverte sous les rideaux tombés et laissant voir derrière leur ramage des vols d’oiseaux, des mouvements de hautes branches.

Tout près de la fenêtre une femme assise, en noir sévère, penchée vers le jour, les yeux sur