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ROSE ET NINETTE

tant sa fiancée, le jour où les parents lui avaient dit : « Elle veut bien, et nous aussi. » Le ciel ne lui paraissait pas plus beau alors qu’en cette fin de journée d’avril, rose et grise, aux trottoirs mouillés, aux premiers chants d’oiseaux, aux premières cendres vertes sur les arbres des Tuileries.

En tout son être aussi montait la poussée printanière, mais brusque, avec des coups au cœur, une oppression dont il cherchait la cause depuis quelques jours et qui venait sans doute de l’air plus tiède, du renouveau plus proche, surtout de l’inespéré bonheur maintenant en perspective. Déjà il voyait les larges yeux bleus se noyer de tendresse pour un aveu, et la robe qu’elle aurait ce soir-là ; il prenait le thé dans le petit salon avec le sentiment intime et rassuré qu’il était chez lui, qu’il ne s’en irait plus. Et de ces jolis rêves qu’il faisait en marchant, tant de joie se reflétait sur sa figure qu’à deux ou trois reprises il crut s’apercevoir qu’on le remarquait, que son sourire au passage en éveillait d’autres.

Arrêté à une vitrine, rue de la Paix, moins pour regarder les bijoux que pour songer à son aise, un « Pardon, cher maître, » à deux voix, l’une robuste, l’autre féminine, le fit se retourner vivement. Il avait devant lui un ménage de comédiens, les Couverchel, mariés depuis vingt ans, légendaires sur le boulevard par leur