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ROSE ET NINETTE

yeux déteints, une bouche que Wagner en ce moment ouvrait jusqu’au fond, tordue et noire, dans un désordre comparable à celui de ce grand cabinet de travail où les partitions de musique et les livres de droit s’effondraient par piles sur tous les meubles, encombrants et poudreux à ne savoir comment circuler.

« Régis, mon ami, écoutez-moi ça… le deuxième acte de Tristan et Iseult… la scène d’amour… IsoldeGeliebte… »

Assis sur un tas de livres, Fagan subissait résigné cette douche harmonique, sachant que rien n’empêcherait le maniaque d’aller jusqu’au bout du morceau, interrompu à toutes mesures de cris d’extases, de voluptueuses pâmoisons : « La piqûre, mon cher… la piqûre de morphine qui grise et qui berce… EndlichEndlich… »

Enfin, quand Iseult et Tristan épuisés eurent dénoué leur étreinte, le magistrat mélomane, pivotant sur son tabouret, demanda à Régis des nouvelles de ses travaux, de sa santé :

« Pas très bonne, hein ?… Oui, je vois ça… la vie de garçon, la vie d’artiste… Pourquoi n’avoir pas imité votre femme ? elle s’est remariée, elle… la mâtine ! En voilà une qui le tripote, son Wagner… À propos, et vos filles ? parlez-moi donc de vos filles.

— Justement, monsieur le conseiller. »

Sa grande allait se marier, entrer dans une