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ROSE ET NINETTE

jour plus précieuse. Jusqu’à Maurice dont l’affectueux babillage m’amusait. Avec sa précocité de petit malade, ses câlineries, sa grâce de fillette, il me rappelait toi à cet âge-là, les jours où, toussant un peu, tu gardais la maison et venais lire auprès de ma table ; ta fierté de m’apporter de gros livres trop lourds qui t’entraînaient, de m’aider à travailler en me tendant un crayon, une boîte de plumes. Et Ninette, te souviens-tu, quand, assise sur le tapis, pas plus haute qu’un chou, elle « rangeait la bibliothèque de papa », laissant mes livres tout par travers, les titres en bas, les auteurs confondus, dépareillés, dans un fouillis attendrissant que je faisais respecter par Anthyme… Eh bien, ces niaiseries divines, ces souvenirs gardés dans un coin de mon cœur, la voix de ce petit Maurice en était comme l’écho ; je n’aurais jamais cru qu’il me manquerait à ce point.

« Signe de vieillesse, ma chérie. Eh ! oui, de vieillesse. Je vais sur mes quarante-cinq ans, l’âge ou physiquement l’homme ne vit plus de ses rentes, commence à attaquer son capital de jours et de santé. Les forces ne se renouvellent plus ; chaque chagrin creuse sa ride, chaque émotion émousse et détend la force nerveuse. C’est triste, ma mignonne, mais le meilleur de mon existence est fait, mes plus grands succès acquis ; ce ne sera plus maintenant que le dé-