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ROSE ET NINETTE

et pas un être-à lui là dedans ! Était-ce cet infini découragement, ou le brouillard du matin dont le drap fin de son habit s’imprégnait ? Il grelottait, refermait la fenêtre, souffrant d’un malaise inexplicable qui, loin de l’affaisser dans un besoin de repos et de sommeil, surexcitait son cerveau, lui faisait commencer une longue lettre à sa fille aînée, le seul cœur où il pût s’épancher, se reprendre au goût de la vie.

« Je ne veux pas, ma Rose aimée, te laisser plus d’un jour sur l’horrible nouvelle que les journaux ont dû vous apporter. Non, grâce à Dieu ! ni folie ni menace de folie ; ton père est tel que tu l’as toujours connu, l’esprit libre et les yeux clairs, une pièce en train, d’autres en rumeur dans sa tête. J’en suis pour un jour et une nuit perdus, passés à me montrer au Paris de toutes les heures et de tous les endroits, à faire la preuve de mon équilibre d’esprit. Les journaux rectifieront ce matin, et demain on n’en parlera plus. L’erreur de ceux qui ont essayé de me noyer dans cette perfidie a été de croire possible, en ce temps-ci, avec une personnalité répandue comme la mienne, l’aventure du malheureux Sandon, cet avocat qu’on a fait passer pour fou, sous le second empire, et qui fut séquestré dix ans. Ah ! si j’avais voulu me venger, faire suivre l’enquête qu’on me proposait, quel piège pour ces méchants et