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ROSE ET NINETTE

chette d’étudiant, sans rideaux ni tentures, et les deux fillettes se regardent avec la même pensée, le même ressouvenir de matins de Noël et de Jour de l’An, où elles venaient empêtrées de leurs longues robes de nuit, tout ébouriffées de sommeil, se fourrer dans le grand lit de papa et de maman pour l’échange des baisers et des cadeaux. Ils se disent bien d’autres choses encore, les yeux de Rose et de Ninette, en retrouvant au chevet de la couchette paternelle des portraits disparus de la chambre commune au ménage, rue Laffitte, et que le père a emportés en s’en allant. D’abord, le grand pastel de Besnard, où elles se tiennent toutes deux par la main, six ans et dix ans, englouties dans les capotes de mousseline et les hautes manches anglaises de leurs costumes à la Greenaway ; puis la bonne-maman de Fagan, sous verre dans un cadre ovale, cette bonne-maman qu’elles n’ont pas connue et dont leur mère leur a toujours parlé comme d’une femme très, oh ! mais très sévère.

Que de réflexions traversent ces jeunes têtes, quel désarroi de toutes leurs idées, en même temps que des êtres et des choses, jadis unis, dispersés maintenant, comme au lendemain d’un incendie ou d’un naufrage ! Et que tout cela est compliqué, effarant pour elles, dans ce manque de jugement qui caractérise et signifie l’extrême jeunesse ! Heureusement qu’on pas-