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ROSE ET NINETTE

le cou. Non, son ex-femme elle-même ne le reconnaîtrait pas. Dès lors, il fut tout à la joie gamine de son aventure, au plaisir de surprendre ses filles dans cette part de leur vie mondaine dont l’entrée lui était interdite.

Un par un, le baron en tête, la bande défila devant M. et Mme La Posterolle, puis commença le tour des salons entre deux rangées d’invités.

Lorsque Régis, le dernier, arriva devant cette femme, sienne pendant tant d’années, il eut quelque peine à la reconnaître. Elle était engraissée depuis leur dernière rencontre, les cheveux changés de nuance encore une fois, poudrés à blanc, d’un contraste joli avec les épaules, les bras restés jeunes, et l’expression enfantine du visage dans la bouffissure envahissante. Mais il la retrouva bien elle-même à son sourire toujours fourbe, répondant des yeux à la bouche par un trait si menu, si aigu ; et ce sourire lui donnait un involontaire frisson de peur. Elle lui avait fait tant de mal, elle pouvait tant lui en faire encore ! L’ayant saluée jusqu’à terre sans oser la regarder, il passa vite au mari, cette figure hautaine d’imbécile, cette courge vide et sonore qui l’avait remplacé sur l’oreiller de Mme Ravaut.

« Je connais ces yeux-là… » pensa Mme la préfète pendant que la bande s’éloignait, et se tournant vers La Posterolle : « Qui est-ce ?