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aux repas pour le Bénédicité et les Grâces, les grandes manches blanches s’ouvraient comme des ailes protectrices sur toute la famille assemblée, et, avec cette bénédiction perpétuelle au-dessus de leur tête, les Tarasconnais ne pouvaient faire autrement que de vivre saints et vertueux.

Chacun était fier de son Révérend, le vantait, le faisait valoir, surtout le pharmacien Bézuquet, à qui la bonne fortune était échue d’avoir chez lui le Père Bataillet.

Tout feu, tout nerfs, ce R. P. Bataillet, doué d’une véritable éloquence populaire, et renommé pour sa manière de raconter paraboles et légendes ; c’était un superbe gaillard, bien découplé le teint brûlé, des yeux de braise, une tête de cabécilla. Sous les longs plis de l’épaisse bure, il avait vraiment belle prestance, bien qu’une épaule fût un peu plus haute que l’autre, et qu’il marchât de côté.

Mais on ne s’apercevait plus de ces légers défauts, lorsqu’il descendait de chaire, après le sermon, et fendait la foule, son grand nez au vent, pressé de regagner la sacristie, tout vibrant encore, et secoué lui-même par sa propre éloquence. Les femmes,