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Il en fallait du courage pour tenter l’aventure par ces nuits claires comme un plein jour ! Il est vrai de dire que les assiégeants avaient tout intérêt à laisser entrer le plus de monde possible.

Ce qu’on voulait, c’était affamer l’abbaye plutôt que l’emporter de vive force. Aussi les soldats détournaient-ils volontiers la tête en voyant ces ombres errantes au clair de la lune et des étoiles. Plus d’un officier, qui avait pris l’absinthe au cercle avec l’illustre tueur de lions, le reconnut de loin malgré son déguisement et le salua d’un appel familier :

« Bonne nuit, monsieur Tartarin ! »

Une fois dans la place, Tartarin organisa la défense.

Ce diable d’homme avait lu tous les livres sur tous les sièges et blocus. Il embrigada les Tarasconnais en milice, sous les ordres du brave commandant Bravida, et, plein des souvenirs de Sébastopol et de Plewna, il leur fit remuer de la terre, beaucoup de terre, entoura l’abbaye de talus, de fossés, de fortifications de tous genres, dont le cercle petit à petit se resserrait à ne pouvoir plus respirer, en sorte que les assiégés se