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musique qui revenait de l’esplanade, les soldats, empêtrés de leurs instruments, retenant d’une main les pans de leurs capotes que le vent envolait.

Tartarin parlait lentement, en marche au milieu de nous comme pour une promenade. Il nous entretenait de lui, rien que de lui, ainsi qu’à son habitude.

« Moi, voyez-vous, j’ai le mal des gens de chez nous. Je me suis trop nourri de regardelle… »

À Tarascon nous appelons regardelle tout ce qui tente les yeux, dont nous avons envie et que la main n’atteint pas. C’est la nourriture des rêveurs, des gens d’imagination. Et Tartarin disait vrai, personne plus que lui n’a consommé de regardelle. Comme je portais le sac, le carton à chapeau, le pardessus de mon héros, je marchais un peu derrière, je n’entendais pas tout. Des mots m’échappaient dans le vent qui redoublait à mesure qu’on approchait du Rhône. J’ai compris qu’il disait n’en vouloir à personne et parlait de son existence avec une douce philosophie.

« … Ce gueusard de Daudet a écrit de moi que j’étais un Don Quichotte dans la