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vide, le char de la Tarasque manquait. De sourdes rancunes se réveillaient, au souvenir du malencontreux coup de fusil tiré sur elle, là-bas, dans le Pacifique ; des grognements se sont fait entendre dans le cortège en passant devant la maison de Tartarin. Comme la bande à Costecalde essayait d’exciter la foule par quelques cris, le marquis des Espazettes, en costume de Templier, s’est retourné sur son cheval « Paix là ! messieurs… » Il avait vraiment grand air, et tout de suite le désordre s’est arrêté.

La tramontane, un vent de neige, soufflait. Dourladoure et moi nous la sentions cruellement, sous nos pourpoints Charles VI prêtés par la troupe d’opéra de passage à Tarascon en ce moment ; assis chacun en haut d’une tour, — car notre char, traîné par six bœufs blancs, représentait le château du roi René en bois et carton peints, — cette coquine de bise nous transperçait, et les vers que nous récitions, nos grands luths à la main, grelottaient autant que nous. Dourladoure me disait : « Outre ! C’est qu’on gèle ! » Et pas moyen de descendre, les échelles qui avaient servi à nous jucher là-haut ayant été retirées.