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périodes qui se déroulaient sans fin, émit l’avis d’un plébiscite.

Les passagers voteraient oui ou non ; d’une part ceux qui voudraient rester resteraient ; d’autre part ceux qui voudraient s’en aller s’en iraient avec le navire, après que les charpentiers du bord auraient reconstruit la grande maison et le blockhaus.

Cette motion de Branquebalme, qui mettait tout le monde d’accord, une fois adoptée, sans plus tarder on fit commencer le vote.

Une grande agitation se produisit sur le pont et dans les cabines, dès qu’on sut de quoi il s’agissait. On n’entendait que plaintes et gémissements. Ces pauvres gens avaient mis leur avoir en l’achat des fameux hectares : allaient-ils donc tout perdre, renoncer à ces terres qu’ils avaient payées, à leur espoir de colonisation. Ces raisons d’intérêt les poussaient à rester, mais aussitôt un regard sur le sinistre paysage les jetait dans l’hésitation. La grande baraque en ruines, cette verdure noire et mouillée derrière laquelle on s’imaginait le désert et les cannibales, la perspective d’être mangés comme Cambalalette, rien de tout cela n’était encourageant, et les désirs se tour-