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V

VALMAJOUR


De la ville d’Aps au mont de Cordoue il ne faut guère plus de deux heures, surtout quand on a le vent arrière. Attelée de ses deux vieux camarguais, la berline allait toute seule, poussée par le mistral qui la secouait, l’enlevait, creusait le cuir de sa capote ou le gonflait à la manière d’une voile. Ici il ne rugissait plus comme autour des remparts, sous les voûtes des poternes ; mais libre, sans obstacle, chassant devant lui l’immense plaine ondulée où quelques mas perdus, une ferme isolée, toute grise dans un bouquet vert, semblaient l’éparpillement d’un village par la tempête, il passait en fumée sur le ciel, en embruns rapides sur les blés hauts, sur les champs d’oliviers dont il faisait papilloter les feuilles d’argent, et avec de grands retours qui soulevaient en flots blonds la poussière craquant sous les roues, il abaissait les files de cyprès serrés, les roseaux d’Espagne aux longues feuilles bruissantes