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savoir ce qu’attendait ce marbre blanc et veuf, Roumestan sourit un peu gêné :

« Toute une histoire ! » dit-il en hâtant le pas.

La municipalité d’Aps lui avait voté une statue, mais les libéraux de l’Avant-garde ayant blâmé très fort cette apothéose d’un vivant, ses amis n’avaient osé passer outre. La statue était toute prête, on attendait sa mort probablement pour la poser. Certes il est glorieux de penser que vos funérailles auront un lendemain civique, que l’on ne sera tombé que pour se relever en marbre ou en bronze ; mais ce socle vide, éblouissant sous le soleil, faisait à Roumestan, chaque fois qu’il passait là, l’effet d’un majestueux tombeau de famille, et il fallut la vue des Arènes pour le tirer de ses idées funèbres. Le vieil amphithéâtre dépouillé de l’animation bruyante du dimanche, rendu à sa solennité de ruine inutile et grandiose, montrait à travers les grilles serrées ses larges corridors humides et froids, où le sol s’abaissait par endroits, où les pierres se descellaient sous le pas des siècles.

« Comme c’est triste ! » disait Hortense, regrettant le tambourin de Valmajour ; mais ce n’était pas triste pour Numa. Son enfance avait vécu là ses meilleures heures tout en joies et en désirs. Oh ! les dimanches de courses de taureaux, la flânerie autour des grilles avec d’autres enfants pauvres comme lui, n’ayant pas les dix sous pour prendre un billet. Dans le soleil ardent de l’après-midi, le mirage du plaisir défendu, ils regardaient le peu que leur laissaient voir les lourdes murailles, un coin de cirque, les jambes chaussées de bas éclatants