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d’évolution, l’endroit élégant, mondain par excellence.

Ces conversations fastidieuses et vides avaient pour les pimenter, le français le plus amusant, le plus bizarre, dans lequel des poncifs, des fleurs sèches de vieilles rhétoriques se mêlaient à d’étranges provençalismes, madame Portal détestant la langue du cru, ce patois admirable de couleur et de sonorité qui vibre comme un écho latin par-dessus la mer bleue et que parlent seuls là-bas le peuple et les paysans. Elle était de cette bourgeoisie provençale qui traduit « Pécaïré » par « Péchère » et s’imagine parler plus correctement. Quand le cocher Ménicle (Dominique) venait dire, à la bonne franquette : « Voù baia de civado au chivaou…[1] », on prenait un air majestueux pour lui répondre : « Je ne comprends pas… parlez français, mon ami. » Alors Ménicle, sur un ton d’écolier : « Je vais bayer dé civade au chivau… – C’est bien… Maintenant j’ai compris. » Et l’autre s’en allait convaincu qu’il avait parlé français. Il est vrai que, passé Valence, le peuple du Midi ne connaît guère que ce français-là.

En outre, tante Portal accrochait tous les mots, non au gré de sa fantaisie, mais selon les us d’une grammaire locale, prononçait déligence pour diligence, achéter, anédote, un régitre. Une taie d’oreiller s’appelait pour elle une coussinière, une ombrelle était une ombrette, la chaufferette qu’elle tenait sous ses pieds en toute saison, une banquette. Elle ne

  1. Je vais donner de l’avoine au cheval.