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toujours paré d’un prestige dans les familles provençales, détruite, anéantie par sa faute ; ce pâle visage de femme noyé dans une expression de renoncement ; ce chagrin aux dents serrées, aux sanglots sourds lui fendait l’âme, si différent de ses manifestations et de la grosse sensibilité à fleur de peau qu’il montrait, assis au pied du lit de sa victime, les yeux gros, les lèvres tremblantes. « Rosalie… allons, voyons… » Il ne trouvait que cela à dire, mais que de choses dans cet « allons…, voyons… » prononcé avec l’accent du Midi facilement apitoyé. On entendait là-dessous « Ne te chagrine donc pas, ma pauvre bête… Est-ce que ça vaut la peine ? Est-ce que ça m’empêche de t’aimer ? »

C’est vrai qu’il l’aimait autant que sa légèreté lui permettait un attachement durable. Il ne rêvait personne autre qu’elle pour tenir sa maison, le soigner, le dorloter. Lui qui disait si ingénument : « J’ai besoin d’un dévouement près de moi ! » il se rendait bien compte que celui-là était le plus complet, le plus aimable qu’il pût désirer et l’idée de le perdre l’épouvantait. Si ce n’est pas cela de l’amour !

Hélas ! Rosalie s’imaginait toute autre chose. Sa vie était brisée, l’idole à bas, la confiance pour toujours perdue. Et pourtant elle pardonna. Elle pardonna par pitié, comme une mère cède à l’enfant qui pleure, qui s’humilie ; aussi pour la dignité de leur nom, pour le nom de son père que le scandale d’une séparation aurait sali, et parce que, les siens la croyant heureuse, elle ne pouvait leur ôter cette illusion. Par exemple, ce pardon accordé si