Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/55

Cette page n’a pas encore été corrigée

les rares moments où ils auraient pu être seuls. Les deux amis parlaient ensemble un patois qui la mettait à part, riaient de plaisanteries locales intraduisibles. Ce qu’elle lui reprochait surtout, c’était ce besoin de mentir, ces inventions, auxquelles elle avait cru d’abord, tellement l’imposture restait étrangère à cette nature droite et franche, dont le plus grand charme était l’accord harmonieux de la parole et de la pensée, accord sensible dans la sonorité, l’assurance de sa voix de cristal.

« Je ne l’aime pas… c’est un menteur… » disait-elle d’un accent profondément indigné, qui amusait beaucoup Roumestan. Et, défendant son ami :

« Mais non, ce n’est pas un menteur…, c’est un homme d’imagination, un dormeur éveillé, qui parle ses rêves… Mon pays est plein de ces gens-là… C’est le soleil, c’est l’accent… Vois ma tante Portal… Et moi-même, à chaque instant, si je ne me surveillais pas… »

Une petite main protestait, lui fermait la bouche : « Tais-toi, tais-toi… Je ne t’aimerais plus si tu étais de ce Midi-là. »

Il en était bien pourtant ; et malgré la tenue parisienne, le vernis mondain qui le comprimait, elle allait le voir sortir ce terrible Midi, routinier, brutal, illogique. La première fois, ce fut à propos de religion : là-dessus, comme sur tout le reste, Roumestan avait la tradition de sa province. Il était le Provençal catholique, qui ne pratique pas, ne va jamais à l’église que pour chercher sa femme à la fin de la messe, reste dans le fond près du bénitier, de l’air supérieur d’un papa à un spectacle d’ombres