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sur son tendre petit cervelet d’oiseau déplumé avaient causé la plus désagréable impression. Mais l’apparition d’une plantureuse nourrice, large, lourde, enrubannée comme un prix des comices agricoles, et l’étincelant petit paquet de dentelles et de broderies blanches qu’elle portait en sautoir, dissipèrent cette tristesse des spectateurs, soulevèrent un nouveau cri de fusée montante, une allégresse éparpillée en mille exclamations enthousiastes.

Lou vaqui… le voilà… vé ! vé !

Surpris, ébloui, clignant sous le soleil, Roumestan s’arrêta une minute sur le haut perron, à regarder ces faces moricaudes, ce moutonnement serré d’un troupeau noir d’où montait vers lui une tendresse folle ; et quoique fait aux ovations, il eut là une des émotions les plus vives de son existence d’homme public, une ivresse orgueilleuse qu’ennoblissait un sentiment de paternité tout neuf et déjà très vibrant. Il allait parler, puis songea que ce n était pas l’endroit sur ce parvis.

— Montez, nourrice…, dit-il à la paisible Bourguignonne dont les yeux de vache laitière s’ouvraient éperdument, et pendant qu’elle s’engouffrait avec son fardeau léger dans le carrosse, il recommanda à Ménicle de rentrer vite, par la traverse. Mais une clameur immense lui répondit :

— Non, non… le grand tour… le grand tour.

C’était le marché à faire dans toute sa longueur.

— Va pour le grand tour ! dit Roumestan après avoir consulté du regard son beau-père à qui il