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elle fut anxieuse, agitée, guettant la porte à laquelle une bonne parut enfin…

« C’est bien… » dit Hortense vivement, souriant à la grande sœur « Une minute, veux-tu ?… je t’appellerai. »

Rosalie crut à une visite du prêtre apportant son latin de paroisse et ses consolations terrifiantes. Elle descendit au jardin, un enclos du Midi, sans fleurs, aux allées de buis, abrité de hauts cyprès résistants. Depuis qu’elle était garde-malade, c’est là qu’elle venait respirer, cacher ses larmes, détendre toutes les concentrations nerveuses de sa douleur. Oh ! qu’elle comprenait bien maintenant la parole de sa mère.

« Il n’y a qu’un malheur irréparable, c’est la perte de ce qu on aime. »

Ses autres chagrins, son bonheur de femme détruit, tout disparaissait. Elle ne songeait qu’à cette chose horrible, inévitable, plus proche de jour en jour… Était-ce l’heure, ce soleil rouge et fuyant qui laissait le jardin dans l’ombre et s’attardait aux vitres de la maison, ce vent lamentable soufflant de haut, qu’on entendait sans le sortir ? En ce moment elle subissait une tristesse, une angoisse inexprimables. Hortense, son Hortense !… plus qu’une sœur pour elle, presque une fille, ses premières joies de maternité précoce… Les sanglots l’étouffaient, sans larmes. Elle aurait voulu crier, appeler au secours, mais qui ? Le ciel, où regardent les désespérés, était si haut, si loin, si froid, comme poli par l’ouragan. Un vol d’oiseaux voyageurs s’y hâtait, dont on n’entendait pas les cris ni les ailes