Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/341

Cette page n’a pas encore été corrigée

Et cela si intense, qu’il me semblait que mes oreilles entendaient pour la première fois, que je me découvrais un sens nouveau.

Elle parlait lentement de sa voix rauque et sifflante. Après un silence, elle reprit avec tout ce que pouvait contenir d’entrain l’instrument brisé, désolé :

— Toujours ma tête qui voyage… Premier prix d’imagination, Hortense Le Quesnoy, de Paris !

On entendit un sanglot, étouffé dans un bruit de porte.

— Tu vois, dit Rosalie… c’est maman qui s’en va… tu lui fais de la peine…

— Exprès… tous les jours un peu… pour qu’elle en ait moins à la fois, répondit tout bas la jeune fille. Par les grands corridors du vieux logis provincial, le mistral galopait, gémissait sous les portes, les secouait de coups furieux. Hortense souriait :

— Entends-tu ?… Oh ! j’aime ça… Il semble qu’on est loin… dans des pays !… Pauvre chérie, ajouta-t-elle en prenant la main de sa sœur et la portant d’un geste épuisé jusqu’à sa bouche, quel mauvais tour je t’ai joué sans le vouloir… voilà ton petit qui sera du Midi par ma faute… tu ne me le pardonnerais jamais, Franciote. »

Dans la clameur du vent, un sifflet de locomotive vint jusqu’à elle, la fit tressaillir.

« Ah ! le train de sept heures… »

Comme tous les malades, tous les captifs, elle connaissait les moindres bruits d’alentour, les mêlait à son existence immobile, ainsi que l’horizon en face d’elle, les bois de pins, la vieille tour romaine déchiquetée sur la côte. À partir de ce moment,