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quelques lattes et morceaux de fonte entassés dans un coin – de la Couveuse-Bompard et de l’élevage artificiel. Oh ! maintenant il avait mieux que cela, mon bon. Une idée merveilleuse, à millions, qu’il ne pouvait pas dire encore.

« Qu’est-ce que tu regardes ?… Ça ? … c’est mon brevet de majoral… Bé, oui, majoral de l’Aïoli. »

Cette société de l’Aïoli avait pour but de faire manger à l’ail une fois par mois tous les Méridionaux résidant à Paris, histoire de ne pas perdre le fumet ni l’accent de la patrie. L’organisation en était formidable : président d’honneur, présidents, vice-présidents, majoraux, questeurs, censeurs, trésoriers, tous brevetés sur papier rose à bandes d’argent avec la fleur d’ail en pompon. Ce précieux document s’étalait sur la muraille, à côté d’annonces de toutes couleurs, ventes de maisons, affiches de chemins de fer, que Bompard tenait à avoir sous les yeux « pour se monter le coco », disait-il ingénument. On y lisait : Château à vendre, cent cinquante hectares, prés, chasse, rivière, étang poissonneux… jolie petite propriété en Touraine, vignes, luzernes, moulin sur la Cize…Voyage circulaire en Suisse, en Italie, au lac Majeur, aux îles Borromées… Cela l’exaltait comme s’il eût eu de beaux paysages accrochés au mur. Il croyait y être, il y était.

— Mâtin !… dit Roumestan avec une nuance d’envie pour ce misérable chimérique, si heureux parmi ses loques, tu as une fière imagination… Es-tu prêt, allons ?… Descendons… Il fait un froid noir chez toi…