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un foyer. Un moment il songea à la rue de Londres… Mais il avait juré à son avoué, car les avoués marchaient déjà, de se tenir tranquille jusqu’au procès. Tout à coup un nom lui traversa l’esprit : « Et Bompard ? Pourquoi n’était-il pas venu ? » D’ordinaire, aux matins de fête, on le voyait arriver le premier, les bras chargés de bouquets, de sacs de bonbons pour Rosalie, Hortense, madame Le Quesnoy, aux lèvres un sourire expressif de grand-papa, de bonhomme Étrennes. Roumestan faisait, bien entendu, les frais de ces surprises ; mais l’ami Bompard avait assez d’imagination pour l’oublier, et Rosalie, malgré son antipathie, ne pouvait s’empêcher de s’attendrir, en songeant aux privations que devait s’imposer le pauvre diable pour être si généreux.

« Si j’allais le chercher, nous dînerions ensemble. »

Il en était réduit là. Il sonna, se défit de l’habit noir, de ses plaques, de ses ordres, et sortit à pied par la rue Bellechasse.

Les quais, les ponts étaient tout blancs ; mais le Carrousel franchi, ni le sol ni l’air ne gardaient trace de la neige. Elle disparaissait sous l’encombrement roulant de la chaussée, dans le fourmillement de la foule pressée sur les trottoirs, aux devantures, autour des bureaux d’omnibus. Ce tumulte d’un soir de fête, les cris des cochers, les appels des camelots, dans la confusion lumineuse des vitrines, les feux lilas des Jablochkoff noyant le jaune clignotement du gaz et les derniers reflets du jour pâle, berçaient le chagrin de Roumestan, le fondaient à l’agitation de la rue, pendant qu’il se