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Sinistre aussi la promenade lente de ces hommes qui se pressaient, insolents et brutaux, entre les tables, envoyant à droite et à gauche la fumée de leurs gros cigares, l’insulte de leur marchandage, s’approchant pour voir l’étalage de plus près. Et ce qui donnait le mieux l’impression d’un marché, c’était ce public cosmopolite et baragouinant, public d’hôtel, débarqué de la veille, venu là dans un négligé de voyage, les bonnets écossais, les jaquettes rayées, les twines encore imprégnés des brumes de la Manche, et les fourrures moscovites pressées de se dégeler, et les longues barbes noires, les airs rogues des bords de la Sprée masquant des rictus de faunes et des fringales de Tartares, et des fez ottomans sur des redingotes sans collet, des nègres en tenue, luisants comme la soie de leurs chapeaux, des petits Japonais à l’Européenne, ratatinés et corrects, en gravures de tailleurs tombées dans le feu.

Bou Diou ! qu’il est laid… disait tout à coup Audiberte devant un Chinois très grave, sa longue natte dans le dos de sa robe bleue ; ou bien elle s’arrêtait, et, poussant le coude de sa compagne :

« Vé, vé ! la mariée… » elle lui montrait, allongée sur deux chaises, dont l’une soutenait ses bottines blanches de satin à talons d’argent, une femme toute en blanc, le corsage ouvert, la traîne déroulée, et les fleurs d’oranger piquant dans ses cheveux la dentelle d’une courte mantille. Puis, subitement scandalisée à des mots qui l’édifiaient sur cet oranger de hasard, la Provençale ajoutait mystérieusement « Une poison, vous savez bien ! » Vite, pour arracher Hortense au mauvais exemple,