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— Dites-y que c’est Cabantous le pilote… Il sait ce que c’est… Il m’attend.

— Vous n’êtes pas le seul, répond l’huissier, qui sourit discrètement de sa plaisanterie.

Cabantous n’en sent pas la finesse ; mais il rit de confiance, la bouche fendue jusqu’aux ancres, et tanguant des épaules, à travers la foule qui s’écarte de son parapluie trempé, il va prendre place sur une banquette à côté d’un autre patient presque aussi tanné que lui.

Té ! vé… C’est Cabantous… Hé ! adieu…

Le pilote s’excuse, il ne remet pas la personne.

— Valmajour, savez bien…, on s’est connu là-bas, aux arènes.

— C’est tron de Dieu ! vrai… , mon homme, tu peux dire que Paris t’a changé…

Le tambourinaire est maintenant un monsieur aux cheveux noirs très longs, rejetés derrière l’oreille, à l’artiste, ce qui avec son teint bistré, sa moustache bleuâtre qu’il effile continuellement, le fait ressembler à un Tzigane de la Foire aux pains d’épice. Là-dessus, une crête toujours levée de coq de village, une vanité de beau garçon et de musicien où se trahit et déborde l’exagération de son midi d’apparence tranquille et peu bavarde. L’insuccès de l’Opéra ne l’a pas refroidi. Comme tous les acteurs en pareil cas, il l’attribue à la cabale ; et pour sa sœur et lui, ce mot prend des proportions barbares, extraordinaires, une orthographe de sanscrit, la kkabbale, un animal mystérieux qui tient du serpent à sonnettes et du cheval de l’Apocalypse. Et il raconte à Cabantous qu’il débute dans