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un autre parti l’auraient fait passer pour un homme du commun ; mais aux sommets aristocratiques où il siégeait entre le prince d’Anhalt et le duc de la Rochetaillade, c’était un signe de puissance et de forte originalité, et le faubourg Saint-Germain raffolait de ce coup d’épaule sur le large dos trapu qui portait les espérances de la monarchie française. Si madame Roumestan avait partagé jadis les illusions du faubourg, c’était bien fini maintenant, à en juger par le désenchantement de son regard, le petit sourire qui retroussait sa lèvre à mesure que le leader parlait, sourire plus pâle encore de mélancolie que de dédain. Mais son mari la quitta brusquement, attiré par les sons d’une étrange musique qui montait de l’arène au milieu des clameurs de la foule debout, exaltée, criant : « Valmajour ! Valmajour ! »

Vainqueur au concours de la veille, le fameux Valmajour, premier tambourinaire de Provence, venait saluer Numa de ses plus jolis airs. Vraiment il avait belle mine, ce Valmajour, planté au milieu du cirque, sa veste de cadis jaune sur l’épaule, autour des reins sa taillole d’un rouge vif tranchant sur l’empois blanc du linge. Il tenait son long et léger tambourin pendu au bras gauche par une courroie, et de la main du même bras portait à ses lèvres un petit fifre, pendant que de sa main droite il tambourinait, l’air crâne, la jambe en avant. Tout petit, ce fifre remplissait l’espace comme un branle de cigales, bien fait pour cette atmosphère limpide, cristalline, où tout vibre, tandis que le tambourin, de sa voix profonde, soutenait le chant et ses fioritures.