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oreilles, pour mieux s’absorber dans la dernière phrase qu’il répétait tout bas :

— « Et, messieurs, ces recommandations suprêmes de la mère de Bayard, venues jusqu’à nous dans la tant douce langue du moyen âge, nous voudrions que l’Université de France… »

L’orage l’énervait, si lourd, engourdissant comme l’ombre de certains arbres des tropiques. Sa tête flottait, grisée d’une odeur exquise exhalée par les fleurs amères des tulipiers ou cette brassée de cheveux blonds éparse sur le lit à côté. Malheureux ministre ! Il avait beau s’accrocher à son discours, invoquer le chevalier sans peur et sans reproche, l’instruction publique, les cultes, le recteur de Chambéry, rien n’y fit. Il dut rentrer dans la chambre de Bayard, et, cette fois, si près de la dormeuse, qu’il entendait son souffle léger, frôlait de sa main l’étoffe à ramages des rideaux tombés encadrant ce sommeil provocateur, cette chair nacrée aux ombres et aux dessous roses d’une sanguine polissonne de Fragonard.

Même là, au bord de sa tentation, le ministre luttait encore, et le murmure machinal de ses lèvres marmottait les recommandations suprêmes que l’Université de France… quand un roulement brusque qui rapprochait ses saccades réveilla la chanteuse en sursaut.

— Oh ! que j’ai en peur… tiens ! c’est vous ?

Elle le reconnaissait en souriant, de ses yeux clairs d’enfant qui s’éveille, sans aucune gêne de son désordre ; et ils restaient saisis, immobiles, croisant la flamme silencieuse de leur désir. Mais