Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/247

Cette page n’a pas encore été corrigée

verger. Au début, la plume de l’orateur n’était pas assez prompte pour l’enthousiasme de l’idée ; il envoyait ses phrases, à la grosse, la tête en bas, des phrases d’avocat du Midi connues mais éloquentes, grises avec une chaleur cachée et des pétillements d’étincelles çà et là comme dans la coulée. Subitement il s’arrêta, le crâne vide de mots ou chargé de la fatigue de la route et des vapeurs du déjeuner. Alors il se promena de l’oratoire à la chambre, parlant haut, s’excitant, écoutant son pas dans la sonorité, comme celui d’un revenant illustre, et se rassit encore sans pouvoir tracer une ligne… Tout tournait autour de lui, les murs blanchis à la chaux, ce rayon de lumière hypnotisante. Il entendit un bruit d’assiettes et de rires dans le jardin, loin, très loin, et finit par s’endormir profondément, le nez sur son ébauche.

… Un violent coup de tonnerre le mit debout. Depuis combien de temps était-il là ? Un peu confus, il sortit dans le jardin désert, immobile. L’odeur des tulipiers s’écrasait dans l’air. Sous la tonnelle vide, des guêpes volaient lourdement autour de la poissure des verres de champagne et du sucre resté dans les tasses que la montagnarde desservait sans bruit, prise d’une peur nerveuse de bête à l’approche de l’orage, et se signant à chaque éclair. Elle apprit à Numa que la demoiselle se trouvant avec un grand mal de tête après déjeuner, elle l’avait menée dormir un peu dans la chambre de Bayard, en fermant « ben doucement » la porte pour ne pas déranger le monsieur qui travaillait. Les deux autres, la grosse dame et le chapeau