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frappées comme des médailles avec le nez court et busqué, les larges joues rases, le menton retourné de Roumestan, tout complétait l’illusion d’un spectacle romain, jusqu’au beuglement des vaches landaises en écho dans les souterrains d’où sortaient jadis les lions et les éléphants de combat. Aussi, quand sur le cirque vide et tout jaune de sable s’ouvrait l’énorme trou noir du podium, fermé d’une claire-voie, on s’attendait à voir bondir les fauves au lieu du pacifique et champêtre défilé de bêtes et de gens couronnés au concours.

À présent c’était le tour des mules harnachées, menées à la main, couvertes de somptueuses sparteries provençales, portant haut leurs petites têtes sèches ornées de clochettes d’argent, de pompons, de nœuds, de bouffettes, et ne s’effrayant pas des grands coups de fouet coupants et clairs, en pétards, en serpenteaux, des muletiers debout sur chacune d’elles. Dans la foule, chaque village reconnaissait ses lauréats, les annonçait à voix haute :

« Voilà Cavaillon… Voilà Maussane… »

La longue file somptueuse se déroulait tout autour de l’arène qu’elle remplissait d’un cliquetis étincelant, de sonneries lumineuses ; s’arrêtait devant la loge de Roumestan, accordant une minute en aubade d’honneur ses coups de fouet et ses sonnailles, puis continuait sa marche circulaire, sous la direction d’un beau cavalier, en collant clair et bottes montantes, un des messieurs du Cercle, organisateur de la fête, qui gâtait tout sans s’en douter, mêlant la province à la Provence, donnant à ce curieux spectacle local un vague aspect de