Page:Daudet - Numa Roumestan, Charpentier, 1881.djvu/191

Cette page n’a pas encore été corrigée

tourna brusquement sur sa vis et mit en face de Rosalie le bonnet de la Provençale indignée.

— C’est trop fort… qu’est-ce qu’il t’a fait, le Midi ?… Moi, je l’adore. Je ne le connaissais pas, mais ce voyage que vous m’avez fait faire m’a révélé ma vraie patrie… J’ai beau avoir été baptisée à Saint-Paul ; je suis de là-bas, moi… Une enfant de la placette… Tu sais, maman, un de ces jours nous planterons là ces froids Septentrionaux et nous irons demeurer toutes deux dans notre beau Midi où l’on chante, où l’on danse, le Midi du vent, du soleil, du mirage, de tout ce qui poétise et élargit la vie… C’est là que je voudrais vi-i-vre… Ses deux mains agiles retombèrent sur le piano, dispersant la fin de son rêve dans un brouhaha de notes retentissantes.

« Et pas un mot du tambourin, pensait Rosalie, c’est grave ! »

Plus grave encore qu’elle ne l’imaginait.

Du jour où Audiberte avait vu la demoiselle accrocher une fleur au tambourin de son frère, à cette minute même s’était levée dans son esprit ambitieux une vision splendide d’avenir, qui n’avait pas été étrangère à leur transplantement. L’accueil que lui fit Hortense lorsqu’elle vint se plaindre à elle, son empressement à courir vers Numa, l’affermissaient dans son espoir encore vague. Et depuis, lentement, sans s’en ouvrir à ses hommes autrement que par des demi-mots, avec sa duplicité de paysanne presque italienne, en se glissant, en rampant, elle préparait les voies. De la cuisine de la place Royale où elle commençait par attendre