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Elle venait en Provence pour la première fois, et pourtant l’on eût dit que tout ce train de cris, de gestes dans un soleil italien remuait en elle une fibre secrète, un instinct engourdi, les origines méridionales que révélaient ses longs sourcils joints sur ses yeux de houri et la matité d’un teint où l’été ne mettait pas une rougeur.

— Voyons, ma chère Rosalie, faisait Roumestan, qui tenait à convaincre sa femme, levez-vous et regardez ça… Paris vous a-t-il jamais rien montré de pareil ?

Dans l’immense théâtre élargi en ellipse et qui découpait un grand morceau de bleu, des milliers de visages se serraient sur les gradins en étages avec le pointillement vif des regards, le reflet varié, le papillotage des toilettes de fête et des costumes pittoresques. De là, comme d’une cuve gigantesque, montaient des huées joyeuses, des éclats de voix et de fanfares volatilisés, pour ainsi dire, par l’intense lumière du soleil. À peine distincte aux étages inférieurs où poudroyaient le sable et les haleines, cette rumeur s’accentuait en montant, se dépouillait dans l’air pur. On distinguait surtout le cri des marchands de pains au lait qui promenaient de gradin en gradin leur corbeille drapée de linges blancs : « Li pan ou la… li pan ou la ! » Et les revendeuses d’eau fraîche, balançant leurs cruches vertes et vernies, vous donnaient soif de les entendre glapir : « L’aigo es fresco… Quau voù beùre ?… » L’eau est fraîche… Qui veut boire ?…

Puis, tout en haut, des enfants, courant et jouant à la crête des arènes, promenaient sur ce grand