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grands pas, se penchait un moment vers le cirque, humait cette lumière, ces cris, et revenait à sa place, familier, bon enfant, la cravate lâche, sautait à genoux sur son siège, et le dos et les semelles à la foule, parlait à ces Parisiennes assises en arrière et au-dessus de lui, tâchait de leur communiquer sa joie.

Madame Roumestan s’ennuyait. Cela se voyait à une expression de détachement, d’indifférence sur son visage aux belles lignes d’une froideur un peu hautaine, quand l’éclair spirituel de deux yeux gris, de deux yeux de perle, ces vrais yeux de Parisienne, le sourire entr’ouvert d’une bouche étincelante ne l’animait pas.

Ces gaietés méridionales, faites de turbulence, de familiarité ; cette race verbeuse, tout en dehors, en surface, à l’opposé de sa nature si intime et sérieuse, la froissaient, peut-être, sans qu’elle s’en rendît bien compte, parce qu’elle retrouvait dans ce peuple le type multiplié, vulgarisé, de l’homme à côté de qui elle vivait depuis dix ans et qu’à ses dépens elle avait appris à connaître. Le ciel non plus ne la ravissait pas, excessif d’éclat, de chaleur réverbérée. Comment faisaient-ils pour respirer, tous ces gens-là ? Où trouvaient-ils du souffle pour tant de cris ? Et elle se prenait à rêver tout haut d’un joli ciel parisien, gris et brouillé, d’une fraîche ondée d’avril sur les trottoirs luisants.

— Oh ! Rosalie, si l’on peut dire…

Sa sœur et son mari s’indignaient ; sa sœur surtout, une grande jeune fille éblouissante de vie, de santé, dressée de toute sa taille pour mieux voir.