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d’un ton qui ne souffre pas de réplique. Mais, au milieu de cet enthousiasme mondain, plus ou moins factice, un pauvre petit cœur s’émeut, une jeune tête se grise éperdument, prend au sérieux les bravos, les légendes. Sans dire un mot, sans même applaudir, les yeux fixes, perdus, sa longue taille souple suivant d’un balancement de rêve les mesures de la marche héroïque, Hortense se retrouve là-bas, en Provence, sur la plate-forme haute dominant la campagne ensoleillée, pendant que son musicien lui sonne l’aubade comme à une dame des cours d’amour et met la fleur de grenade à son tambourin avec une grâce sauvage. Ce souvenir la remue délicieusement, et tout bas, appuyant la tête sur l’épaule de sa sœur : « Oh ! que je suis bien… » murmure-t-elle d’un accent profond et vrai que Rosalie ne remarque pas tout de suite, mais qui plus tard se précisera, la hantera comme l’annonce balbutiée d’un malheur.

— Eh ! bé ! mon brave Valmajour, quand je vous le disais… Quel succès !… hein ? criait Roumestan dans le petit salon où l’on avait servi un souper debout pour les artistes. Ce succès, les autres étoiles du concert le trouvaient bien un peu exagéré. La Vauters, assise, prête à partir, attendant sa voiture, voilait son dépit d’un grand capuchon de dentelle aux pénétrants parfums, tandis que le beau Mayol debout devant le buffet, avec une mimique de dos énervée et lasse, déchiquetait une mauviette férocement s’imaginant tenir le tambourinaire sous sa lame. La petite Bachellery n’avait