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accès de tristesse en revenant de Versailles avec quelques-uns de ses collègues du cabinet. Dans l’étouffement d’un wagon plein de fumeurs, on causait, sur ce ton de gaieté familière que Roumestan apportait partout avec lui, d’un certain chapeau de velours nacarat encadrant une pâleur créole à la tribune diplomatique où il avait fait une heureuse diversion aux tarifs douaniers et mis tous les nez des honorables en l’air, comme dans une classe d’écoliers quand palpite un papillon perdu au milieu d’un thème grec. Qui était-ce ? Personne ne la connaissait.

— Il faut demander ça au général, dit Numa gaiement en se tournant vers le marquis d’Espaillon d’Aubord, ministre de la Guerre, vieux roquentin acharné à l’amour… Bon… bon… Ne vous défendez pas, elle n’a regardé que vous.

Le général fit une grimace qui lui remonta, comme avec un ressort, sa barbiche jaune de vieux bouc jusque dans le nez.

— Il y a beau temps que les femmes ne me regardent plus… Elles n’ont d’yeux que pour ces b… là…

Celui qu’il désignait dans ce langage débraillé, particulièrement cher à tous les soldats gentils-hommes, était le jeune de Lappara, assis dans un coin du wagon, le portefeuille ministériel sur ses genoux, et gardant un silence respectueux en cette compagnie de gros bonnets. Roumestan se sentit mordu, sans savoir où précisément, et riposta avec vivacité. Selon lui, il y avait bien d’autres choses que les femmes préféraient à la jeunesse d’un homme.