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La veille de partir, Audiberte, après la course quotidienne et infructueuse du tambourinaire, fit manger ses hommes à la hâte, sans parler de tout le déjeuner, mais avec les yeux brillants, l’air déterminé d’une résolution prise. Le repas fini, elle leur laissa le soin de débarrasser la table, jeta sur ses épaules sa longue mante couleur de rouille.

« Deux mois, deux mois bientôt que nous sommes à Paris !… dit-elle les dents serrées. Il y en a assez… Je m’en vais lui parler, moi, à ce menistre !… »

Elle ajusta le ruban de sa terrible petite coiffe qui, sur le haut de ses cheveux en larges ondes, prenait des mouvements de casque de guerre, et violemment quitta la chambre, ses talons bien cirés retroussant à chaque pas la bure épaisse de sa robe. Le père et le fils se regardèrent avec épouvante, sans essayer de la retenir, sachant bien qu’ils ne feraient qu’exaspérer sa colère ; et ils passèrent l’après-midi en tête à tête, échangeant à peine trois paroles, pendant que la pluie ruisselait en bas sur le vitrage, l’un astiquant baguette et flûtet, l’autre cuisinant le fricot du dîner sur un feu qu’il faisait aussi ardent que possible, pour se chauffer tout son soûl une bonne fois, pendant la longue absence d’Audiberte. Enfin, son pas pressé de nabote sonna dans le corridor. Elle entra, elle rayonnait.

— Dommage que la fenêtre ne donne pas sur la rue, dit-elle en se débarrassant de son manteau qui n’avait pas une goutte de pluie… Vous auriez pu voir en bas le bel équipage qui m’amène.