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— Ah ! vaï, sa dame… tu sais bien qu’elle n’aime pas ta musique… Si c’était la demoiselle… celle-là, oui, par ézemple !…

Et elle remuait la tête.

— La dame ou la demoiselle, tout ça se moque bien de vous… disait le père Valmajour blotti devant un feu de mottes que sa fille couvrait de cendres économiquement et qui mettait entre eux un éternel sujet de querelle.

Au fond, par jalousie de métier, le vieux n’était pas fâché de l’insuccès de son fils. Comme toutes ces complications, ce grand désarroi de leur vie allait à ses goûts bohêmes de ménétrier, il s’était d’abord réjoui du voyage, de l’idée de voir Paris, « le paradis des femmes et l’enfer des chivaux », ainsi que disent les charretiers de là-bas, avec des imaginations de houris en légers voiles, et de chevaux tordus, cabrés au milieu des flammes. En arrivant, il avait trouvé le froid, les privations, la pluie. Par crainte d’Audiberte, par respect pour le ministre, il s’était contenté de grogner en grelottant dans son coin, de glisser des mots en dessous, des clignements d’yeux ; mais la défection de Roumestan, les colères de sa fille ouvraient pour lui aussi la voie aux récriminations. Il se vengeait de toutes les blessures d’amour-propre dont les succès du garçon le torturaient depuis dix ans, haussait les épaules en écoutant le flûtet.

« Musique, musique bien, va… Ça ne te servira pas à grand’chose. »

Et, tout haut, il demandait si ça ne faisait pas pitié, un homme de son âge, l’avoir emmené si loin,