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la lumière chaude de la lampe, la bonne face large, le profil connu de Roumestan le rassuraient un peu. Son courrier prêt, le grand homme passa aux mains du valet de chambre, et, la jambe tendue, pour qu’on lui retirât pantalon et chaussures, il interrogeait le tambourinaire, apprenait avec terreur qu’avant de venir les Valmajour avaient tout vendu, les mûriers, les vignes, la ferme.

— Vendu la ferme, malheureux !

— Ah ! la sœur était bien un peu effrayée… Mais le papa et moi nous avons tenu bon… Comme j’y disais : « Qu’est-ce que tu veux qu’on risque puisque Numa est là-bas, puisque c’est lui qui nous fait venir ? »

Il fallait toute son innocence pour oser parler du ministre, devant lui, avec ce sans-façon. Mais ce n’est pas cela qui saisissait le plus Roumestan. Il songeait aux nombreux ennemis que lui avaient déjà causés cette incorrigible manie de promettre. Quel besoin, je vous demande, d’aller troubler la vie de ces pauvres diables ? Et les moindres détails de sa visite au mont de Cordoue lui revenaient, les résistances de la paysanne, ses phrases pour la décider. Pourquoi ? Quel démon avait-il en lui ? Il était affreux, ce paysan ! Quant à son talent, Numa ne s’en souvenait guère, ne voyant que la corvée de toute cette tribu qui lui tombait sur les bras.

D’avance, il entendait les reproches de sa femme, sentait le froid d’un regard sévère. « Les mots signifient quelque chose. » Et, dans sa nouvelle position, à la source de toutes les faveurs, que d’embarras il allait se créer avec sa fatale bienveillance.