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LETTRES DE MON MOULIN.

n’aboyaient pas, les pintades s’enfuyaient sans crier… À l’intérieur, pas une voix ! Rien, pas même un grelot de mule… Sans les rideaux blancs des fenêtres et la fumée qui montait des toits, on aurait cru l’endroit inhabité.

Hier, sur le coup de midi, je revenais du village, et, pour éviter le soleil, je longeais les murs de la ferme, dans l’ombre des micocouliers… Sur la route, devant le mas, des valets silencieux achevaient de charger une charrette de foin… Le portail était resté ouvert. Je jetai un regard en passant, et je vis, au fond de la cour, accoudé, — la tête dans ses mains, — sur une large table de pierre, un grand vieux tout blanc, avec une veste trop courte et des culottes en lambeaux… Je m’arrêtai. Un des hommes me dit tout bas :

— Chut ! c’est le maître… Il est comme ça depuis le malheur de son fils.

À ce moment une femme et un petit garçon, vêtus de noir, passèrent près de nous avec de gros paroissiens dorés, et entrèrent à la ferme.