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LETTRES DE MON MOULIN.

fer aux poignets et aux chevilles, chante un air bizarre à trois notes mélancoliques et nasillardes. En chantant, elle allaite un petit enfant tout nu en bronze rouge, et, du bras resté libre, elle pile de l’orge dans un mortier de pierre. La pluie, chassée par un vent cruel, inonde parfois les jambes de la nourrice et le corps de son nourrisson. La bohémienne n’y prend point garde et continue à chanter, sous la rafale, en pilant l’orge et donnant le sein.

L’orage diminue. Profitant d’une embellie, je me hâte de quitter cette cour des Miracles et je me dirige vers le dîner de Sid’Omar ; il est temps… En traversant la grand’place, j’ai encore rencontré mon vieux juif de tantôt. Il s’appuie sur son agent d’affaires ; ses témoins marchent joyeusement derrière lui ; une bande de vilains petits juifs gambade à l’entour… Tous les visages rayonnent. L’agent se charge de l’affaire : Il demandera au tribunal deux mille francs d’indemnité.