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LETTRES DE MON MOULIN.

— Tu l’as vu, Achmed, tu l’as vu… tu étais là… Le chrétien m’a frappé… Tu seras témoin… bien… bien… tu seras témoin.

L’Arabe dégage son beurnouss et repousse le juif… Il ne sait rien, il n’a rien vu : juste au moment, il tournait la tête…

— Mais toi, Kaddour, tu l’as vu… tu as vu le chrétien me battre… crie le malheureux Iscariote à un gros nègre en train d’éplucher une figue de Barbarie…

Le nègre crache en signe de mépris et s’éloigne, il n’a rien vu… Il n’a rien vu non plus, ce petit Maltais dont les yeux de charbon luisent méchamment derrière sa barrette ; elle n’a rien vu, cette Mahonaise au teint de brique qui se sauve en riant, son panier de grenades sur la tête…

Le juif a beau crier, prier, se démener… pas de témoin ! personne n’a rien vu… Par bonheur deux de ses coreligionnaires passent dans la rue à ce moment, l’oreille basse, rasant les murailles. Le juif les avise :

— Vite, vite, mes frères ! Vite à l’homme