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LE PORTEFEUILLE DE BIXIOU.

lampes et que les cuisines commencent à sentir bon…

« Toute ma vie se passe sur les coffres à bois des antichambres. Aussi les huissiers me connaissent, allez ! À l’Intérieur, ils m’appellent : « Ce bon monsieur ! » Et moi, pour gagner leur protection, je fais des calembours, ou je dessine d’un trait sur un coin de leur buvards de grosses moustaches qui les font rire… Voilà où j’en suis arrivé après vingt ans de succès tapageurs, voilà la fin d’une vie d’artiste !… Et dire qu’ils sont en France quarante mille galopins à qui notre profession fait venir l’eau à la bouche ! Dire qu’il y a tous les jours, dans les départements, une locomotive qui chauffe pour nous apporter des panerées d’imbéciles affamés de littérature et de bruit imprimé !… Ah ! province romanesque, si la misère de Bixiou pouvait te servir de leçon !

Là-dessus il se fourra le nez dans son assiette et se mit à manger avidement, sans dire un mot… C’était pitié de le voir faire. À chaque minute, il perdait son pain, sa four-