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VII
le pion

Je pris donc possession de l’étude des moyens.

Je trouvai là une cinquantaine de méchants drôles, montagnards joufflus de douze à quatorze ans, fils de métayers enrichis, que leurs parents envoyaient au collège pour en faire de petits bourgeois, à raison de cent vingt francs par trimestre.

Grossiers, insolents, orgueilleux, parlant entre eux un rude patois cévenol auquel je n’entendais rien, ils avaient presque tous cette laideur spéciale à l’enfance qui mue, de grosses mains rouges avec des engelures, des voix de jeunes coq enrhumés, le regard abruti, et par là-dessus l’odeur du collège… Ils me haïrent tout de suite, sans me connaître. J’étais pour eux l’ennemi, le Pion ; et du jour où je m’assis dans ma chaire, ce fut la guerre entre nous, une guerre acharnée, sans trêve, de tous les instants.

Ah ! les cruels enfants, comme ils me firent souffrir !…