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née, lorsqu’au sortir de la ville des rires et des chuchotements à mon arrière-garde me firent retourner la tête.

À quatre ou cinq pas derrière nous, Bamban suivait la promenade gravement.

— Doublez le pas, dis-je aux deux premiers.

Les élèves comprirent qu’il s’agissait de faire une niche au bancal, et la division se mit à filer d’un train d’enfer.

De temps en temps on se retournait pour voir si Bamban pouvait suivre, et on riait de l’apercevoir là-bas, bien loin, gros comme le poing, trottant dans la poussière de la route, au milieu des marchands de gâteaux et de limonade.

Cet enragé-là arriva à la Prairie presque en même temps que nous. Seulement il était pâle de fatigue et tirait la jambe à faire pitié.

J’en eus le cœur touché, et, un peu honteux de ma cruauté, je l’appelai près de moi doucement.

Il avait une petite blouse fanée, à carreaux rouges, la blouse du petit Chose, au collège de Lyon.

Je la reconnus tout de suite, cette blouse, et dans moi-même je me disais : « Misérable, tu n’as pas honte ? Mais c’est toi, le petit Chose que tu t’amuses à martyriser ainsi. » Et, plein de larmes intérieures, je me mis à aimer de tout mon cœur ce pauvre déshérité.

Bamban s’était assis par terre à cause de ses jambes qui lui faisaient mal. Je m’assis près de lui. Je lui parlai… Je lui achetai une orange… J’aurais voulu lui laver les pieds…