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Misère de ma vie ! pourquoi ne puis-je plus l’être ce petit Chose que j’étais alors !…

En somme, on le voit, j’avais quelques bonnes heures.

j’en avais de mauvaises aussi. Deux fois par semaine, le dimanche et le jeudi, il fallait mener les enfants en promenade. Cette promenade était un supplice pour moi.

D’habitude nous allions à la Prairie, une grande pelouse qui s’étend comme un tapis au pied de la montagne, à une demi-lieue de la ville. Quelques gros châtaigniers, trois ou quatre guinguettes peintes en jaune, une source vive courant dans le vert, faisaient l’endroit charmant et gai pour l’œil… Les trois études s’y rendaient séparément ; une fois là, on les réunissait sous la surveillance d’un seul maître qui était toujours moi. Mes deux collègues allaient se faire régaler par des grands dans les guinguettes voisines, et, comme on ne m’invitait jamais, je restais pour garder les élèves… Un dur métier dans ce bel endroit !

Il aurait fait si bon s’étendre sur cette herbe verte, dans l’ombre des châtaigniers, et se griser de serpolet, en écoutant chanter la petite source !… Au lieu de cela, il fallait surveiller, crier, punir… J’avais tout le collège sur les bras. C’était terrible…

Mais le plus terrible encore, ce n’était pas de surveiller les élèves à la Prairie, c’était de traverser la ville avec ma division, la division des petits. Les autres divisions emboîtaient le pas à merveille et