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Peu à peu, le petit Chose se sentit moins timide. Il avait quitté son encoignure et se promenait par le café, parlant haut, le verre à la main.

À cette heure, les sous-officiers étaient ses amis ; il raconta effrontément à l’un d’eux qu’il appartenait à une famille très riche et qu’à la suite de quelques folies de jeune homme, on l’avait chassé de la maison paternelle ; il s’était fait maître d’étude pour vivre mais il ne pensait pas rester au collège longtemps… Vous comprenez, avec une famille tellement riche !…

Ah ! si ceux de Lyon avaient pu l’entendre à ce moment-là.

Ce que c’est que de nous, pourtant ! Quand on sut au café Barbette que j’étais un fils de famille en rupture de ban, un polisson, un mauvais drôle, et non point, comme on aurait pu le croire, un pauvre garçon condamné par la misère à la pédagogie, tout le monde me regarda d’un meilleur œil. Les plus anciens sous-officiers ne dédaignèrent pas de m’adresser la parole ; on alla même plus loin au moment de partir, Roger, le maître d’armes, mon ami de la veille, se leva et porta un toast à Daniel Eyssette. Vous pensez si le petit Chose fut fier !

Le toast à Daniel Eyssette donna le signal du départ. Il était dix heures moins le quart, c’est-à-dire l’heure de retourner au collège.

L’homme aux clefs nous attendait sur la porte.

— Monsieur Serrières, dit-il à mon gros collègue que le punch d’adieu faisait trébucher, vous allez