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d’étude avaient, au café Barbette, une pipe comme cela.

— Eh bien, collègue, me dit le gros Serrières, vous voyez qu’il y a encore de bons moments dans le métier… En somme, vous êtes bien tombé en venant à Sarlande pour votre début. D’abord l’absinthe du café Barbette est excellente et puis, là-bas, à la boîte, vous ne serez pas trop mal.

La boîte, c’était le collège.

— Vous allez avoir l’étude des petits, des gamins qu’on mène à la baguette. Il faut voir comme je les ai dressés ! Le principal n’est pas méchant ; les collègues sont de bons garçons il n’y a que la vieille et le père Viot…

— Quelle vieille ? demandai-je en tressaillant.

— Oh ! vous la connaîtrez bientôt. À toute heure du jour et de la nuit, on la rencontre rôdant par le collège avec une énorme paire de lunettes… C’est une tante du principal, et elle remplit ici les fonctions d’économe. Ah ! la coquine ! Si nous ne mourons pas de faim ce n’est pas de sa faute.

Au signalement que me donnait Serrières, j’avais reconnu la fée aux lunettes et malgré moi je me sentais rougir. Dix fois, je fus sur le point d’interrompre mon collègue et de lui demander : « Et les yeux noirs ? » Mais je n’osai pas. Parler des yeux noirs au café Barbette !… fi donc !…

En attendant, le punch circulait, les verres vides s’emplissaient, les verres remplis se vidaient ; c’était des toasts, des oh ! oh ! des ah ! ah ! des queues de billard en l’air, des bousculades, de gros rires, des calembours, des confidences…