Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rablement sa vie ! — La vieille Annou s’en pâme d’admiration.

L’enthousiasme de Jean Peyrol est moins vif. Il trouve tout simple que M. Daniel gagne sa vie, puisqu’il est en état de la gagner. À l’âge de M. Daniel, lui, Jean Peyrol, courait le monde depuis déjà quatre ou cinq ans, et ne coûtait plus un liard à la maison, au contraire… Oui-dà ! à l’âge de M. Daniel, il y avait belle heure que Jean Peyrol était un homme !…

Bien entendu, le digne cabaretier garde ces réflexions pour lui seul. Oser comparer Jean Peyrol à Daniel Eyssette !… Annou ne le souffrirait pas.

En attendant, le petit Chose va son train. Il parle, il boit, il mange, il s’anime ; ses yeux brillent, sa joue s’allume… Holà ! maître Peyrol, qu’on aille chercher des verres ; le petit Chose veut trinquer… Jean Peyrol apporte les verres, et on trinque… d’abord à madame Eyssette, ensuite à M. Eyssette, puis à Jacques, à Daniel, à la vieille Annou, au mari d’Annou, à l’Université… à quoi encore ?…

Deux heures se passent ainsi en libations et en bavardages. On cause du passé couleur de deuil, de l’avenir couleur de rose, on se rappelle la fabrique, Lyon, la rue Lanterne, ce pauvre abbé qu’on aimait tant…

Tout à coup le petit Chose se lève pour partir…

— Déjà ! dit tristement la vieille Annou.

Le petit Chose s’excuse ; il a quelqu’un de la ville à voir avant de s’en aller, une visite très-im-