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cette brave Annou ! comme elle est heureuse de revoir M. Daniel ! Comme elle l’embrasse ! comme elle l’étreint ! comme elle l’étouffe !…

Au milieu de ces effusions, l’homme du comptoir se réveille.

Il s’étonne d’abord un peu du chaleureux accueil que sa femme est en train de faire à ce jeune inconnu ; mais quand on lui apprend que ce jeune inconnu est M. Daniel Eyssette en personne, Jean Peyrol devient rouge de plaisir et s’empresse autour de son illustre visiteur.

— Avez-vous déjeuné, monsieur Daniel ?

— Ma foi ! non, mon bon Peyrol… c’est précisément ce qui m’a fait entrer ici.

Justice divine !… M. Daniel n’a pas déjeuné !… Vite, vite. La vieille Annou court à sa cuisine ; Jean Peyrol se précipite à la cave, — une fière cave, au dire des compagnons.

En un tour de main le couvert est mis, la table est parée. Le petit Chose n’a qu’à s’asseoir et à fonctionner… À sa gauche, Annou lui taille des mouillettes pour ses œufs, des œufs du matin, blancs, crémeux, duvetés… À sa droite, Jean Peyrol lui verse un vieux Château-Neuf-des-Papes, qui semble une poignée de rubis jetée au fond de son verre… Le petit Chose est très-heureux. Il boit comme un Templier, mange comme un Hospitalier, et trouve encore moyen de raconter, entre deux coups de dents, qu’il vient d’entrer dans l’Université, ce qui le met à même de gagner honorablement sa vie. Il faut voir de quel air il dit cela : gagner hono-