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brassèrent en silence ; depuis la veille, ils étaient au courant de ce qui se passait.

— Qu’on s’occupe de sa malle ! fit brusquement M. Eyssette, il part demain matin par le bateau. »

Madame Eyssette poussa un gros soupir, Jacques esquissa un sanglot, et tout fut dit.

On commençait à être fait au malheur dans cette maison-là.

Le lendemain de cette journée mémorable, toute la famille accompagna le petit Chose au bateau. Par une coïncidence singulière, c’était le même bateau qui avait amené les Eyssette à Lyon six ans auparavant. Capitaine Géniès, maître Coq Montélimart ! Naturellement on se rappela le parapluie d’Annou, le perroquet de Robinson, et quelques autres épisodes du débarquement… Ces souvenirs égayèrent un peu ce triste départ, et amenèrent l’ombre d’un sourire sur les lèvres désolées de madame Eyssette.

Tout à coup la cloche sonna. Il fallait partir.

Le petit Chose, s’arrachant aux étreintes de ses amis, franchit bravement la passerelle.

— Sois sérieux ! lui cria son père.

— Ne sois pas malade ! dit madame Eyssette.

Jacques voulait parler, mais il ne put pas ; il pleurait trop.

Le petit Chose ne pleurait pas, lui. Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, c’était un grand philosophe, et positivement les philosophes ne doivent pas s’attendrir…

Et pourtant, Dieu sait s’il les aimait, ces chères créatures qu’il laissait derrière lui, dans le brouil-